Alain Brunet, PhD, McGill University, Montreal / Adam Brown, PhD, New School for Social Research, New York / & Andrew Rasmussen, PhD Fordham University, New York – sont trois universitaires spécialisés dans l’étude et le traitement du TSPT.
Avec près de 3 000 morts et 6 000 blessés, le 11 septembre 2001 demeure l’acte de terrorisme le plus meurtrier de l’histoire. Ceci exclut les victimes atteintes de problèmes de santé permanents dus à l’inhalation de poussières toxiques.
Ces attaques, visant les tours jumelles du World Trade Center à New York il y a 19 ans, ont coûté des centaines de milliards de dollars à l’économie américaine et ont déclenché une initiative militaire mondiale encore plus coûteuse pour lutter contre le terrorisme. Mais pour la plupart des gens attaqués ou touchés par cet événement, le 11 septembre est simplement synonyme de conséquences néfastes et durables pour eux-mêmes ou leurs proches. Ce jour-là, des milliers de premiers intervenants (policiers, pompiers, etc.) et de badauds ont risqué leur vie pour développer plus tard des problèmes de santé physique et mentale. Après le 11 septembre, la consommation d’alcool à Manhattan a augmenté de 25 %, celle du tabac de 10 %, celle de la marijuana de 3 %. Les familles ont également souffert : 3 051 enfants ont perdu un parent ce jour-là et des dizaines de femmes enceintes ont perdu leur bébé. Selon une vaste enquête, 375 000 New-Yorkais auraient souffert d’un trouble de stress post-traumatique (TSPT) à la suite du 11 septembre. Ce chiffre n’inclut pas les autres problèmes mentaux associés au 11 septembre.
Les crises forcent les sociétés à se remettre en question et à bouger. Le 11 septembre a permis d’apprendre des choses importantes en matière de santé mentale, et d’intégrer dans le langage courant des termes auparavant relégués aux professionnels de la santé mentale, tels que traumatisme, stress post-traumatique et résilience. Mais l’adoption par le profane des concepts et du vocabulaire du trauma n’a pas été l’unique changement. Les neurosciences, les sciences de la santé mentale, l’épidémiologie et la recherche en psychiatrie ont été profondément revigorées par le 11 septembre. De nouveaux traitements sont nés de ces recherches qui nourrissent de nouveaux espoirs. Voici donc onze leçons et quelques réflexions sur l’évolution de la science liée au stress post-traumatique.
9/11 – Leçons tirées en matière de santé mentale
Leçon 1. Contrairement aux déclarations alarmistes faites par certains ‘experts’ au lendemain du 11 septembre, les New-Yorkais n’ont pas été tous « traumatisés ». La résilience -la capacité de rebondir- est la réponse normative au stress chez l’homme, même après les événements les plus horribles. Avant le 11 septembre, il existait relativement peu d’informations sur la manière dont les gens s’adaptent émotionnellement à la suite d’un traumatisme collectif majeur.
Leçon 2. Le 11 septembre a déclenché des conversations sur l’omniprésence des traumatismes dans nos vies. Jusqu’alors, les traumatismes étaient confinés au domaine militaire. L’APA (Association Américaine de Psychiatrie) considérait les événements traumatiques comme « hors du champ normal de l’expérience humaine ». Or, nous avons appris que les événements traumatiques sont non seulement fréquents, mais le fait d’en vivre plusieurs au cours de sa vie est la norme dans la société civile.
Leçon 3. Le psychotraumatisme, et par extension l’acte terroriste, changent la vie, souvent pour toujours. Que nous développions ou non un TSPT, la plupart d’entre nous connaîtront les affres de la remise question de nos repères les plus fondamentaux, et la fin de certaines illusions sur soi, sur la nature humaine et sur le monde. Le trauma représente un cairn inamovible marquant la frontière entre « l’avant » et « l’après ». La survie au trauma a un coût qui dans bien des cas est celui d’une blessure psychologique invisible mais durable à l’âme, avec comme seul salut l’acquisition, parfois, d’un grain de sagesse chèrement payée.
Leçon 4. Dans le post-immédiat d’une catastrophe, les besoins des survivants gravitent avant tout autour de la sécurité et de l’aide pratique et logistique qui les aident à satisfaire leurs besoins fondamentaux. Il s’agit notamment de se mettre en rapport avec des proches afin de pleurer ceux (ou ce) qui a été perdu et obtenir du soutien émotionnel ; il s’agit de se procurer de la nourriture et d’avoir accès à du transport et à de l’argent… Les besoins plus élaborés (recevoir des soins psychologiques ou spirituels) émergeront en fonction du temps écoulé depuis le traumatisme.
Leçon 5. Les victimes ne doivent pas être pressées pour parler de leur expérience traumatique tout de suite, bien que nous pensions que parler est une bonne chose. Parler avec d’autres personnes peut créer du lien et donner un sens à quelque chose qui n’en a pas. Mais réfléchir et parler d’un traumatisme doit se faire à son propre rythme avec quelqu’un qui comprend et sait écouter. Une telle chose que le soutien social négatif existe (par exemple, se faire dire de « passer à autre chose ») et peut nuire à la guérison.
Leçon 6. Les recherches menées après le 11 septembre ont montré que le débriefing n’est pas une intervention nécessairement aidante ; il peut même parfois aggraver les choses. La plupart des survivants de traumatismes n’ont pas non plus automatiquement besoin de consulter un professionnel de la santé mentale. Il existe à ce jour très peu de preuves de l’efficacité d’une quelconque intervention thérapeutique immédiate. Et le fait de faire passer des réactions de détresse somme toutes normales face à des circonstances anormales pour des problèmes psychiatriques peut, en fait, faire du mal aux gens.
Leçon 7. De nombreux professionnels de la santé mentale et personnes de bonne volonté se sentent obligés de « faire quelque chose » à la suite d’un événement traumatisant. Mais l’une des leçons apprises après le 11 septembre est que les thérapeutes ne devraient pas entraver le travail du personnel de la sécurité publique et devraient être encore plus prudents lorsqu’ils veulent se mêler d’aider psychologiquement les victimes qui, pour la plupart vont s’en remettre spontanément, via les moyens du bord.
Leçon 8. Rien de ce qui précède ne suggère qu’il n’y a pas de place pour la psychothérapie après un traumatisme. Mais au lieu d’essayer d’offrir une aide psychothérapique à toute la population après un traumatisme, il conviendrait d’adopter une approche de soins échelonnés dans le temps, dans laquelle les conseils de santé mentale seraient d’abord dispensés massivement à la population via les médias dès le début (favorisant la résilience), et une aide de santé mentale de plus en plus sophistiquée, intense et spécialisée serait offerte au fil du temps à des sous-groupes plus vulnérables (par exemple, les pompiers, les femmes, etc.)
Leçon 9. De nombreux scientifiques sont d’accord avec ceux qui affirment que le TSPT n’est pas un « désordre » mais plutôt une « blessure ». Les personnes souffrant de TSPT ne sont pas folles, ni malades ; elles sont blessées. Mais l’invisibilité de la blessure du TSPT empêche les survivants d’un traumatisme d’attirer la sympathie… et une indemnisation appropriée. Cela reste un problème encore aujourd’hui.
Leçon 10. Dans le passé, le TSPT était souvent considéré comme un état mental fabriqué ou exagéré, invoqué par le lâche ou le fuyard. Le 11 septembre nous a fait réaliser que la faiblesse personnelle n’a pas grand-chose à voir avec le fait de développer ou non un TSPT, et que les survivants, dont beaucoup sont des héros, ont besoin de soins. Actuellement, 88 000 personnes sont membres du programme de santé du World Trade Center (aidé par le Zadroga Act du Congrès américain), et d’autres devraient le rejoindre encore bientôt.
Leçon 11. Les idées et les concepts que le 11 septembre a fait entrer dans les mœurs ont été utilisés pour redécouvrir les conditions de vie misérables de nombreux autres survivants de traumatismes qui font l’objet des manchette aujourd’hui : enfants victimes de maltraitance et d’abus sexuels, victimes de racisme et de discrimination anti-LGBTQ, cibles d’intimidation et, bien sûr, les vétérans qui reviennent d’un conflit, pour n’en citer que quelques-uns.
9/11 – Le jour où le TSPT est arrivé pour rester
On attribue aux vétérans du Vietnamaméricains le crédit d’avoir mis le TSPT sur la carte ; mais le 11 septembre nous l’a mis en pleine face et nous a forcés à le regarder. Avec le recul, il est difficile de croire qu’avant le 11 septembre, nous, universitaires intéressés par le TSPT, étions considérés comme travaillant sur un trouble marginal et obscur affectant soi-disant le personnel militaire et les victimes de violence sexuelle.
Avec le 11 septembre, l’image qu’on se faisait du trauma a volé en éclat lorsque cet événement dystopique a fait intrusion dans les foyers de millions de personnes par le biais du téléviseur. Le 11 septembre a été un véritable électrochoc, un réveil douloureux, une expérience choquante qui, désormais, pouvait surgir den’importe où dans la foulée du plus banal événement de vie. Ce n’était plus seulement l’apanage des vétérans. De nos jours, l’exposition aux traumatismes est devenue la norme, et le TSPT un malheur susceptible de frapper n’importe qui.
Les livres d’histoire affirment que la reconnaissance de l’existence du stress traumatique a fluctué au fil du temps, du moins depuis qu’Hérodote a décrit les effets délétères de la bataille de Marathon dans l’Antiquité sur certains de ses guerriers. Cette fois, le TSPT en tant que concept a envahi notre monde et est là pour rester. En fait, il serait facile de démontrer que les conséquences de l’exposition à un traumatisme sur la santé mentale représentent l’entité psychiatrique la plus répandue dans la société;le traumatisme psychique est un grand défi mondial de santé publique qui attend d’être résolu par la psychiatrie et ses sciences alliées, mais aussi par les décideurs politiques et les diplomates. Le TSPT est apparu le 11 septembre, mais 20 ans plus tard, la nouvelle question est de savoir s’il disparaîtra jamais. Pourrait-on se donner en 2020 comme objectif de l’éradiquer ? Pourquoi pas ?
9/11 – Une explosion … de connaissances
Au début des années 80, lorsque le TSPT sous sa forme moderne a été introduit dans les nosologies psychiatriques, nous en savions encore très peu: comment il se développe, qui est à risque, son ubiquité, son cours, son traitement… Après le 11 septembre, le nombre annuel de publications scientifiques dans la base de données PubMed sur le stress traumatique a littéralement explosé, doublant tous les 7 ans entre les années 2000 (689), 2007 (1491) et 2014 (2864).
Cette attention portée au trauma a porté ses fruits. En quelques décennies seulement, nous avons fait des progrès remarquables dans notre compréhension du TSPT après un traumatisme, ses facteurs de risque et de résilience, sa neurobiologie, ses influences génétiques et épigénétiques, sa prévalence et son évolution. Nous avons développé et affiné des modèles animaux, des questionnaires, des entretiens structurés et des inventaires pour évaluer avec précision le TSPT. Nous avons même conçu des tests biologiques, sanguins, urinaires et du sommeil pour compléter ces mesures. Nous avons acquis des images du cerveau de milliers de patients souffrant de TSPT, mis au point de nouveaux médicaments pour traiter le TSPT et même trouvé plusieurs biomarqueurs (mais aucun ne permet de prédire avec précision qui sera atteint de TSPT à la suite d’un traumatisme, malheureusement). Les théories de l’apprentissage, de la mémoire et la connaissance des circuits neurobiologiques de la peur ont progressé de manière significative grâce à l’attention portée au TSPT. Cela se comprend si l’on considère qu’il est pratiquement impossible de souffrir de TSPT sans faire appel à la notion de souvenir.
Progrès dans le traitement du TSPT
En 2020, plus personne ne devrait continuer à vivre avec un TSPT, compte tenu de l’existence de plusieurs traitements efficaces fondés sur des preuves. Alors que personne ne voudrait jamais revenir à l’époque où nous n’avions pas les psychotropes, le traitement pharmacologique du TSPT ne reste que partiellement efficace. Le modèle de traitement -très lucratif- en psychiatrie est resté inchangé depuis 60 ans, et s’applique au TSPT: une pilule par jour pendant une période de temps inconnue (généralement des années!) pour masquer vos symptômes, au prix de graves effets secondaires indésirables (prise de poids, incapacité d’atteindre l’orgasme, impulsivité suicidaire, etc).
Ce modèle médical a toutefois été complété (et remis en cause) par les progrès réalisés dans le domaine de la psychothérapie. Il existe aujourd’hui plusieurs psychothérapies fondées sur des données probantes pour le TSPT et qui ont bien performé dans les essais cliniques. Les thérapies d’exposition, inspirées par le célèbre physiologiste Ivan Pavlov, ont été adaptées avec succès au traitement du TSPT dans les années 1990. La désensibilisation et le retraitement par les mouvements oculaires (« EMDR »), une remarquable thérapie impliquant des mouvements oculaires a été inventée pour traiter le TSPT et s’est également révélée prometteuse. Mais d’autres thérapies encore plus étonnantes sont en cours de développement. Nous avons montré, avec d’autres, que, comme dans le film Eternal Sunshine of the Spotlessmind, nous pouvons désormais diminuer de manière sélective et durable (sans pour autant l’effacer) la force d’un souvenir émotionnel, un souvenir traumatique spécifique par exemple, pour le bénéfice de nos patients, en seulement quelques courtes visites.
La Thérapie de la Reconsolidation, qui repose sur l’évocation d’un souvenir traumatique sous propranolol, est basée sur notre plus récente compréhension de la façon dont les souvenirs sont formés, stockés,puis repêchés. Parce que le souvenir est au cœur d’un état comme le TSPT, le blocage partiel du réenregistrement de ce souvenir s’est avéré un moyen astucieux et efficace de traiter le TSPT (voir Brunet et al., 2018). Cette méthode, qui pourrait devenir le premier traitement curatif en psychiatrie, a été utilisée avec succès à la suite d’autres attaques terroristes récentes à Paris en 2015 et à Nice en 2016. À l’époque, comme après le 11 septembre, il y avait beaucoup d’incertitude quant à la survenue d’autres attentats terroristes. Il était urgent d’augmenter les capacités de prises en charge locales. La Thérapie de la Reconsolidation, qui peut être apprise en seulement 3 jours par des thérapeutes formés, a été enseignée à 200 thérapeutes français, qui ont à leur tour traité avec succès des centaines de patients en quelques semaines, démontrant ainsi la possibilité pour une communauté de se remettre d’une épidémie de cas de stress traumatique dans un laps de temps relativement court.
Bien sûr, n’oublions pas que le meilleur traitement du TSPT consiste encore à éliminer les causes dont il est issu. Toutes les ressources, la collecte de données scientifiques, les sujets de recherche humains et non humains, les articles scientifiques et les conférences professionnelles sur l’étude et le traitement du TSPT nous ont montré, depuis le 11 septembre, que le stress traumatique peut avoir des répercussions profondes et durables sur notre santé globale et se répercuter sur tous les aspects de nos relations et de nos communautés. En ce jour anniversaire du 11 septembre, examinons tout ce que nous savons sur le TSPT – la façon dont il peut avoir un impact sur la santé, les relations et la société. Nous ne sommes peut-être pas en mesure de prévenir toutes les tragédies, mais nous avons fait beaucoup de chemin. Prenons ces leçons et engageons-nous à réduire la violence, la pauvreté, les populations déplacées, à promouvoir la diplomatie et à investir dans des environnements durables.
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